200 Venus d’Égypte sur l’ordre d’Aryandès pour venger Phérétimê, les Perses arrivèrent à Barkê et mirent le siège (eporliorkeon) devant la ville en exigeant que les auteurs du meurtre d’Arkésilas (tous aitious tou phonou tou Arkesilaô) leur soient livrés. Mais les Barkéens se déclarèrent tous complices du meurtre et n’acceptèrent pas ces demandes. Les Perses assiégèrent alors la ville pendant neuf mois, creusant sous terre des galeries (orussontes te orugmata hupogaia) passant sous les remparts tout en lançant de violents assauts (prosbolas karteras) [201 prise de la ville par ruse] 202 Quand les plus coupables des Barkéens lui eurent été livrés par les Perses, Phérétimê les fit empaler (aneskolopise) tout autour des remparts, fit trancher (apotamousa) les seins de leurs femmes et en fit tapisser les murs de l’enceinte. Pour ce qui est du reste des Barkéens, elle invita les Perses à en disposer comme butin, à l’exception de ceux qui étaient de la famille des Battiades et qui n’avaient pas participé au meurtre. À ceux-là, Phérétimê remit la cité.
Personnage à la fois historique et littéraire, Phérétimê, reine de Cyrène occupe une place particulière dans l’œuvre d’Hérodote, notre principale source sur l’histoire de Cyrène à l’époque archaïque et sur celle de la famille royale des Battiades qui gouvernait la cité. L’action de Phérétimê, épouse de Battos III, mère d’Arkesilas III, probable grand-mère de Battos IV, se situe au croisement de l’histoire troublée des descendants de l’oikiste Battos I, fondateur de Cyrène colonie de Théra (vers 630 av. J.-C.), des conflits internes (stasis) renouvelés qui agitèrent la cité à partir des années 560 av. J.-C. Ceux-ci furent entre autres marqués par l’exil d’Arkésilas III à Samos puis par son assassinat à Barkê où il s’était réfugié après un difficile retour alors que sa mère assurait la continuité du pouvoir dynastique à Cyrène. À ce contexte de luttes civiles intenses, il faut ajouter que la cité de Cyrène entretînt des rapports parfois tendus avec l’Égypte qui, en 525, fut conquise par les Perses sous le règne de Cambyse auprès de qui Arkesilas fit acte de soumission en s’imposant de lui-même le paiement d’un tribut. Après la mort de son fils, Phérétimê occupe donc une place importante dans les rapports entre Grecs et Perses.
Après l’assassinat de son fils par les Barkéens, Phérétimê se rendit auprès de satrape d’Égypte pour solliciter son aide. Aryandès envoya contre Barkê une force coordonnée terrestre et navale, peut-être pour satisfaire le désir de vengeance de la reine, plus sûrement, comme le souligne Hérodote, pour « conquérir la Libye » en usant de ce prétexte. Le siège de Barkê est remarquable à plus d’un titre. Sa description par Hérodote est d’abord exceptionnellement longue et offre, en langue grecque, le premier développement sur la pratique des mines conjuguée à l’assaut, des contre-mines et des combats souterrains intervenant au point de jonction des galeries. Conclu à l’avantage des Perses grâce à une ruse sur laquelle il n’y a pas lieu de s’étendre ici, le siège de Barkê met ensuite l’accent sur l’artifice qui accompagne, aux yeux des Grecs, l’extension du champ de la guerre dans le temps, dans l’espace et dans les modalités d’action, qui caractérise la guerre de siège par opposition au combat hoplitique. Par ses sollicitations d’aide et par sa présence, Phérétimê se range politiquement et militairement dans le camp perse et permet, de fait, la réinstallation à Cyrène d’un pouvoir-client des Achéménides tout en mettant la guerre au service des luttes civiles et de la sauvegarde du pouvoir des Battiades. Enfin, la monstrueuse violence de la répression voulue par la reine à l’encontre des opposants faits prisonniers est unique dans l’Enquête. La pratique de l’empalement des vaincus est ancienne tant en Assyrie qu’en Perse. Instrument de domination sur les corps, la mutilation des hommes est conçue et mise en scène comme une composante de l’action politique et militaire des rois. Au contraire, pour Hérodote, et pour les Grecs plus généralement, l’outrage aux corps des vaincus est un interdit, une transgression. Quant à la mastectomie, violence sexuée, sa pratique est beaucoup moins documentée dans l’Antiquité. Le principe vital des femmes résidant dans la lactation, couper les seins reviendrait à annihiler la source de nourriture des enfants engendrés et à éradiquer toute forme de descendance. L’acte a donc une forte portée sociale. Pal ou mastectomie, ces supplices ont pour but de terroriser une population ou un groupe social. Comme le laisse voir la suite donnée par Hérodote à ce passage (la mort épouvantable de Phérétimê attribuée à la haine des dieux) la reine de Cyrène a outrepassé les règles de la guerre et les limites du sacré. Elle est pleinement et totalement transgressive.