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Études de cas

Le sacrifice de Pellion

Auteur de l’oeuvre : Arrien
Titre de l’oeuvre : Anabase
Nature de l’oeuvre : Récit historique
Date de rédaction de l’oeuvre : IIe siècle ap. J.-C.

Références de l’extrait : 1.5.5-7
Auteur de la traduction de l’extrait : Pierre Savinel

Extrait

Mais Langaros, de retour chez lui, tomba malade et mourut. Faisant route le long du fleuve Erigon, Alexandre marcha sur la cité de Pellion. Clitus s’en était emparé parce que c’était le point le mieux fortifié du pays. Lorsqu’Alexandre y fut arrivé, il établit son camp près du fleuve Eordaïque et décida d’attaquer les remparts le lendemain. Les troupes de Clitus occupaient les hauteurs qui entourent la ville, en position dominante et couvertes de bois épais, de façon à pouvoir fondre de toutes parts sur les Macédoniens s’ils attaquaient la ville. Mais Glaucias, le roi des Taulanties, n’était pas encore arrivé. Alexandre donc attaqua la cité. Les ennemis, après avoir immolétrois garçonnets et autant de filles, ainsi que trois béliers noirs, s’élancèrent pour en venir aux mains avec les Macédoniens [οἱ δὲ πολέμιοι σφαγιασάμενοι παῖδας τρεῖς καὶ κόρας ἴσας τὸν ἀριθμὸν καὶ κριοὺς μέλανας τρεῖς]. Mais, dès qu’ils furent au corps à corps, ils abandonnèrent les positions qu’ils avaient occupées et qui étaient pourtant fortes, de sorte que leurs victimes [σφάγια] furent trouvées encore gisant sur le sol [αὐτῶν κατελήφθη ἔτι κείμενα].

» Accès au texte original (latin/grec)

Commentaire

Auteur de l'étude de cas : Lorette Marquis
Date de création de l'étude de cas : 25 novembre 2021

Nom de la guerre : Conquête d’Alexandre le Grand, 336-323 a.C.
Date de l’évènement : 335 av. J;-C.

Thématiques : Sacré
Siècle : IVe siècle av. J.-C.
Région : Balkans (y compris Macédoine)

Typologie de la guerre : Guerre de conquête ou interétatique
Type d’action : Atteintes aux corps

Ce sacrifice d’enfants (σφαγιασάμενοι) survient lors de l’arrivée d’Alexandre le Grand à Pellion. C’est le premier cas de sacrifice d’enfants recensé durant son règne. C’est ce qu’on appelle un meurtre rituel. Selon l’historien Dennis D. Hughes, un meurtre rituel (qu’il s’agisse d’un animal ou d’une victime humaine), est un meurtre commis dans une situation ou lors d’une occasion particulière (une cérémonie religieuse, des funérailles, avant la bataille, etc.) d’une manière prescrite et stéréotypée, avec une fonction communicative quelconque. Les sources font état de nombreux sacrifices d’animaux avant une bataille, mais peu de sacrifice humain. Dennis D. Hughes a remis en question l’existence de sacrifices humains avant une bataille. Il se réfère à Porphyre qui, dans sa longue liste de sacrifices humains, affirme, en se fondant sur Phylarque, qu’il était pratique courante pour tous les Grecs de tuer des êtres humains avant de partir contre l’ennemi. Selon lui, si nous ne savons rien du contexte de cette déclaration, il est attesté en revanche qu’à l’époque de Phylarque (IIIe siècle a.C.), les sacrifices coutumiers faits avant la bataille, sphagia, étaient des victimes animales ; il existe de nombreux témoignages de ces sacrifices dans les récits des historiens, en particulier chez Xénophon. Le scepticisme des historiens pourrait remettre en cause la véracité de cet évènement. Pourtant, Arrien indique la présence de trois béliers en plus des six enfants.

Il est intéressant de constater que ces béliers auraient à Pellion la même valeur dans un rite sacrificiel que des enfants. Il est probable que leur couleur noire fait référence à l’obscurité, la mort. Peut-être est-ce une référence au mythe de la toison d’or, à moins qu’il ne s’agisse d’ un sacrifice dédié à Hermès, le bélier étant son animal de prédilection. Plus simplement, il est aussi possible que le bélier, mâle reproducteur, ait été très couteux et que s’en séparer représentait un réel sacrifice. Enfin, selon Eva Cantarella: « Au roi Numa, la tradition ne se contentait pas d’attribuer la loi sur l’homicide volontaire. Elle lui attribuait aussi la loi qui fixait la peine pour l’homicide involontaire. À cette loi font référence un passage du commentaire de Servius aux Géorgiques et un passage du commentaire aux Bucoliques du Servius auctus. […] Dans le commentaire aux Géorgiques, il est dit qu’autrefois celui qui avait commis un homicide devait laver (luere) sa faute avec un bélier. ». De fait, peut-être qu’Arrien, en évoquant ce sacrifice du bélier, s’inspire des anciennes lois du roi Numa ; à moins que la cité de Pellion, par ce sacrifice, se soit inscrite dans le cadre de pratiques traditionnelles et anciennes.

L’historien doute que des Grecs aient pu commettre ce genre d’acte. Cependant, comme les Illyriens n’étaient  pas des Grecs, mais des « barbares », il n’est pas impossible que ce sacrifice ait eu lieu. Aucun détail toutefois n’a été donné, et l’on ne sait pas à quelle divinité il s’adressait. Il est probable que ce sacrifice fut une réaction spontanée, liée au désespoir et à la peur de la communauté face à un possible siège, voire à une mise à sac assortie d’un massacre. Il est possible que d’anciens rites soient réapparus au temps des campagnes d’Alexandre dans les Balkans, comme autant de manifestations du développement de la violence extrême.

POUR CITER CE COMMENTAIRE : Lorette Marquis, « Le sacrifice de Pellion », WWW.PARABAINO.COM MIS EN LIGNE LE 14/12/2021

Bibliographie

Cantarella (E.) 2000, Les peines de mort en Grèce et à Rome : origines et fonctions des supplices capitaux dans l’Antiquité classique, traduit de l’italien par Gallet (N.), Paris, p. 3 ; p. 107.

Hughes (D.) 1991, Human Sacrifice in Ancient Greece, Londres-NY. p. 302-303.