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Études de cas

Les Egestins torturés

Auteur de l’oeuvre : Diodore de Sicile
Titre de l’oeuvre : Bibliothèque historique
Nature de l’oeuvre : Récit historique
Date de rédaction de l’oeuvre : Entre 60 et 30 av. J.-C.

Références de l’extrait : XX, 71, 1-5
Auteur de la traduction de l’extrait : Cécile Durvye (CUF, 2018)

Extrait

« 1Agathocle, après être passé rapidement de Libye en Sicile, ayant envoyé chercher une partie de ses troupes, s’avança vers la cité des Egestains, qui était son alliée ; mais comme il manquait d’argent, il contraignit les Egestains riches à lui verser la majeure partie de leur fortune ; la cité avait à l’époque dix mille habitants. 2 Comme beaucoup s’en irritaient et se rassemblaient, Agathocle, accusant les Egestains de comploter contre lui, frappa la cité de terribles malheurs : ceux qui avaient le moins de ressources, il les fit avancer hors de la ville et les égorgea (ἀπέσφαξεν) au bord du fleuve Scamandre ; ceux qui passaient pour posséder davantage de biens, il les contraignit par la torture (βασανίζων ἠνάγκαζε) à dire combien d’argent chacun avait, livra certains d’entre eux au supplice de la roue, en fit percer d’autres de traits après les avoir liés aux catapultes et, ayant soumis d’autres aux astragales avec beaucoup de violence, leur infligea de terribles douleurs (δειναῖς ἀλγηδόσι). 3 Il inventa aussi un autre supplice (τιμωρίαν) comparable au taureau de Phalaris : il fit construire un lit de bronze ayant en creux la forme d’un corps humain, clos de tous côtés par des barreaux, et, y attachant ceux qu’il torturait (βασανιζομένους), il les brûlait vifs, ce dispositif différant du taureau en ce que l’on pouvait, en plus, voir les victimes mourir dans les souffrances (ἀπολλυμένους). 4 Quant aux femmes qui possédaient des ressources, à certaines il fit étirer les chevilles en les étreignant avec des pinces (καρκίνοις) de fer, à d’autres il fit couper les mamelons (τιτθοὺς ἀπέτεμνεν) et à celles qui étaient enceintes, leur appliquant des briques sur le ventre, il fit expulser leur embryon sous le poids ; comme le tyran cherchait de cette façon à obtenir tout l’argent et qu’une grande frayeur tenait la cité, des gens se firent brûler eux-mêmes avec leurs maisons, d’autres quittèrent la vie en se pendant (ἀγχόνῃ). 5 Egeste donc, ayant connu un unique jour d’infortune, vit toute sa population adulte mise à mort (ἐθανατώθη) ; Agathocle, ayant emmené les jeune filles et les enfants en Italie, les vendit aux habitants du Bruttium et, ne laissant pas même à la cité son nom mais l’ayant changé pour celui de Dikaïopolis, donna la ville comme demeure aux transfuges. »

» Accès au texte original (latin/grec)

Commentaire

Auteur de l'étude de cas : Maxime Grégoire
Date de création de l'étude de cas : 27 août 2021

Nom de la guerre : Expéditions d'Agathocle en Sicile
Date de l’évènement : 307/6 av. J.-.C.

Thématiques : Genre - Identité
Siècle : IVe siècle av. J.-C.
Région : Corse-Sardaigne et Sicile

Typologie de la guerre : Guerre de conquête ou interétatique
Contexte militaire : Occupation
Type d’action : Atteintes aux corps

Cet extrait fait suite au débarquement d’Agathocle en Sicile, après la troisième guerre gréco-punique. Manquant d’argent, il se rend dans une ville alliée, Egeste, afin de s’emparer de la fortune de ses habitants.

Diodore décrit de manière très circonstanciée et avec force détails différents types de tortures ou supplices.  Il faut rappeler que notre auteur est originaire de Sicile et que sa source principale est Timée de Tauroménion, dont le père est à Syracuse l’un des principaux opposants au tyran Agathocle. Si Diodore fait mention d’une torture apparentée au taureau de Phalaris c’est parce qu’il s’agit d’un mode opératoire connu en Sicile. Inventé par le tyran d’Agrigente, Phalaris, au VIe siècle, il était formé d’un taureau en bronze dans lequel étaient enfermées les victimes que l’on faisait rôtir vivantes. S’il insiste sur son utilisation par Agathocle c’est parce que celui-ci l’aurait amélioré afin qu’il soit encore plus spectaculaire, puisque les victimes étaient désormais visibles de l’extérieur. Cette comparaison a pour but de montrer qu’avec Agathocle un degré supplémentaire a été franchi dans l’exercice de la cruauté. Un autre élément qui laisse entrevoir une construction du récit n’ayant d’autre but que de souligner et de condamner la cruauté d’Agathocle, c’est l’utilisation de pinces de fer (krakinos), qui pourrait avoir été ajoutée à l’épisode afin de renvoyer à Krakinos, le père d’Agathocle.

Notons ensuite que les tortures ne concernent pas que les hommes, les femmes en sont également victimes. Les procédés utilisés à leur encontre visent les attributs de la féminité, notamment les parties du corps liées à la maternité : les seins sont une cible prioritaire mais aussi, pour les femmes enceintes, c’est le ventre gonflé, symbole de fécondité, qui est aplati par des pierres afin de provoquer des avortements forcés. Ces tortures traduisent une volonté de porter atteinte à l’identité du groupe, aux éléments qui contribuent à sa reproduction et conservation : tandis que les hommes sont privés de « la belle mort », on retire aux femmes le droit de donner la vie.
La torture des habitants sans considération de leur sexe ajoute à la puissance de l’événement, à tel point que devant ce spectacle d’horreur, certains préfèrent se suicider, échappant ainsi à des pratiques de cruauté d’une extrême violence.
En ce qui concerne les enfants et les jeunes filles, s’ils ne sont pas exposés à la torture, ils sont capturés par Agathocle pour être vendus aux habitants de Bruttium, servant ainsi de monnaie d’échange afin de rentabiliser au mieux le passage du tyran dans la cité. Les torturer aurait endommagé leur corps et leur aurait fait perdre leur valeur marchande. C’est notamment le cas des jeunes filles qui sont vendues vierges. L’argent récolté de ces ventes doit permettre de contribuer à l’effort de guerre. En effet, au moment des événements, Agathocle entre dans une longue guerre avec les Carthaginois et a besoin de fonds pour reconstituer son armée. Cet épisode a lieu après la troisième guerre gréco-punique et s’inscrit dans une période de transition durant laquelle le tyran mène des expéditions à travers la Sicile afin d’assurer sa mainmise sur un certain nombre de cités et ainsi réunir les ressources nécessaires en vue d’une prochaine expédition.

Les violences extrêmes perpétrées par Agathocle, qu’il s’agisse des actes de tortures, tout autant que de la capture et de la vente d’individus ciblés, ont permis à Agathocle de terroriser les habitants et ainsi de mettre rapidement la main sur les richesses dont il avait besoin pour ses expéditions, au risque de voir sa réputation entachée durablement.

POUR CITER CE COMMENTAIRE : Maxime Grégoire, « Les Egestins torturés », WWW.PARABAINO.COM MIS EN LIGNE LE 20/11/2021

Bibliographie