1 La ville se trouva prise de cette manière et l’on assista à toutes sortes de scènes pénibles à l’intérieur des remparts (entos tôn teikhôn). En raison de leur arrogante proclamation, les Macédoniens traitaient en effet les Thébains plus durement (pikroteron) qu’un ennemi ne le fait d’ordinaire. Ils se portaient avec force menaces contre ces infortunés et tuaient sans merci (apheidôs anêroun) tous ceux qu’ils venaient à rencontrer. […] 3 Mais ni la compassion face à la valeur ne suscitait la pitié de l’ennemi ni la longueur du jour ne suffisait à la sauvagerie de sa vengeance (pros tên ômotêta tês timôrias) : la ville entière était saccagée, les jeunes garçons et les jeunes filles entraînés avec violence (helkomenôn) tandis qu’ils invoquaient pitoyablement le nom de leur mère. Bref, maisons pillées, familles entières capturées, c’était l’asservissement (andrapodismos) total de la cité. […] 5 Ce fut un grand massacre (pollou de phonou genomenou) et la ville était partout remplie de cadavres […] C’est qu’en effet des Grecs, Thespiens, Platéens, Orchoméniens ou d’autres encore, dont les sentiments étaient hostiles aux Thébains, faisaient campagne à côté du roi. Ils avaient eux aussi fait irruption dans la ville et, devant l’infortune de ces malheureux, ils montraient ouvertement leur haine personnelle (ten idian ekhthran). 6 C’est pourquoi l’on pouvait voir s’accomplir à travers la ville beaucoup d’effroyables atrocités (pathê polla kai deina) : impitoyablement, des Grecs étaient mis à mort par des Grecs et, malgré leur parenté d’origine (suggeneis), ils étaient massacrés par leurs proches sans que la communauté de langue fît éprouver à ces derniers la moindre honte. Finalement, quand la nuit les surprit, les maisons avaient été pillées, les enfants, les femmes et les vieillards arrachés, avec les pires sévices (meta tês eskhastês hubreôs), des sanctuaires où ils s’étaient réfugiés.
Après sa victoire à Chéronée (338), le roi de Macédoine Philippe II établit une garnison sur la Cadmée, l’acropole de Thèbes. Les choses se compliquèrent après l’assassinat du roi (fin de l’été 336). Son fils Alexandre prit immédiatement sa succession. Dès l’annonce de la mort de Philippe, des mouvements d’hostilité à la domination macédonienne éclatèrent en Grèce. Les troubles furent, dans un premier temps, promptement réglés par Alexandre qui put ainsi partir en campagne en Thrace et en Illyrie. La rumeur de sa mort au combat détermina cependant la révolte des Thébains, qui comptaient, entre autres, sur l’appui des Athéniens, des Arcadiens et autres Péloponnésiens. Après avoir aboli le régime oligarchique mis en place par Philippe, les Thébains assiégèrent la garnison occupant la Cadmée. Alexandre ne prit pas à la légère la révolte thébaine et, à marche forcée, parvint devant Thèbes. Après quelques jours de négociations et devant le refus des Thébains de se soumettre, il entreprit le siège de la ville. En dépit d’une résistance courageuse des assiégés, la ville fut rapidement prise et les combats se transportèrent de l’extérieur à l’intérieur des murs et se transformèrent en combats urbains d’une violence extrême soulignée aussi bien par Diodore de Sicile que par Arrien ou Plutarque. Après la maîtrise des lieux stratégiques et référentiels (remparts, agora, sanctuaires et Cadmée) la conquête de la ville basse se fit rue par rue et maison par maison, avec son cortège de massacres, de viols (celui de Timocléia, par exemple, rapporté par Plutarque), de pillages. Le massacre de masse des combattants et de la population civile est avéré par plusieurs sources sans que l’on puisse évaluer le nombre exact des victimes. Diodore avance le chiffre de 6000, tout comme Plutarque.
Les massacres furent d’autant plus massifs que des citoyens de cités béotiennes autrefois soumises et détruites par Thèbes participaient au siège, et donnèrent aux violences un aspect de vengeance. Et de guerre civile. Alexandre eut l’habileté de remettre le sort des Thébains à ses alliés. Le Conseil décida la destruction de Thèbes et la réduction en esclavage de ses habitants (30 000 selon Diodore). En dépit d’un aspect de coopération entre alliés, la décision d’assiéger Thèbes revient pleinement à Alexandre qui ouvre ainsi la voie à un processus de violences extrêmes. Il inaugure à Thèbes une stratégie de la cruauté destinée à inspirer la terreur, qu’il renouvela, avec des modalités sans cesse adaptées, dans la suite de ses conquêtes. L’accumulation des mots de la violence et de la sauvagerie dans le récit de Diodore de Sicile indiquent que les limites de la guerre ordinaire furent outrepassées et que furent niées les règles jusqu’ici militairement, socialement et politiquement partagées. Le retentissement de l’éradication de Thèbes en temps qu’entité politique eut un retentissement énorme auprès des contemporains (orateurs athéniens) et des historiens grecs ou romains jusqu’à Arrien et Justin.