Concernant l’identité, plusieurs aspects sont interrogés : meurtres intrafamiliaux, viols et atteintes à la filiation, animalisation et/ou chosification, recherches des marques somatiques de la différence dans le corps de l’autre. On sera par exemple attentif au conformisme au sein d’un groupe dans les pratiques de cruauté. On posera donc la question de l’extermination, notamment quand elle se fit pour conserver intact son groupe ou en extraire ceux considérés comme des ennemis potentiels. Il s’agit ainsi de comprendre la construction ou la reconstruction identitaire par le prisme de l’exercice de violences extrêmes.
Profanation des lieux, atteinte aux corps, destruction des cultures, le massacre de masse se comprend aussi comme une atteinte au sacré, quand bien même celui-ci répondrait à une définition vague lorsqu’il est question de guerre. Si le sacré se comprend en opposition avec le profane dans la littérature théologique, juridique, anthropologique et philosophique classique, le massacre de masse oblige à ne pas s’en tenir à cette opposition simple. Loi, lien social, corps, entité politique posent la question de la porosité entre l’intérieur et l’extérieur. Le franchissement de la barrière morale et corporelle modifie, par rapport à l’état de guerre, la forme et le contenu de la désignation de l’ennemi. En outre, le massacre de masse invite à repenser la différence entre profanation et désacralisation. La dimension religieuse est alors très élargie : l’homo sacer, le sacrifice, la symbolique du temple et du refuge, l’impur, le désordre, sont des thèmes qui doivent être réinterrogés à la lumière de l’analyse du massacre de masse. C’est un jeu de représentations complexes qui surgit à l’occasion de ce phénomène de transgression de plusieurs lois et normes. Les récits connus par les textes doivent être complétés, dans l’analyse, par celle des images, manquantes ou effroyables. S’engage ainsi une réflexion non seulement sur le témoin, mais aussi sur le visible, le montrable, l’ostensible, pour nourrir la compréhension du sacré dans le massacre de masse comme point nodal de la dialectique entre l’exhibition et l’occultation, entendus comme phénomènes politiques. En ce sens, les allers-retours entre l’antiquité et le monde contemporain sont riches d’enseignements.
Concernant le genre, il s’agit de montrer comment les transgressions peuvent être genrées dans leurs modalités, leurs acteurs, leurs victimes. Une telle enquête invite à confronter les normes et les pratiques guerrières mais aussi les catégorisations et hiérarchisations sociales et culturelles (hommes/femmes, libres/esclaves, jeunes/vieux…) ; elle vise ainsi à étudier la « domination masculine » dans ses modalités les plus violentes, à évaluer l’importance des violences féminines dans les sources, à mettre en valeur la polyphonie de ces sources et la manière dont les victimes des violences prennent la parole, demandent justice et réparation, accomplissent leur vengeance (cf. tragédies, inscriptions funéraires…).