Alors que Marcellus fait le siège de Syracuse en 213 av. J.-C. et que des cités siciliennes rallient les Carthaginois en livrant les Romains (comme à Murgantia), le chef de la garnison romaine d’Henna, Pinarius, décide de massacrer tous les citoyens pour tenir son poste. Il convoque l’assemblée des citoyens dans le théâtre pour le lendemain et s’adresse à ses soldats pour leur exposer son plan. Le texte est donc un discours composé par Tite-Live, dans lequel Pinarius commence par évoquer le dilemme de sécurité: le danger encouru par ses soldats, pourtant seulement supposé, est présenté comme inéluctable; ce qu’ont vécu les Romains à Murgantia, ils vont le vivre; d’ailleurs ne s’y préparent-ils depuis plusieurs jours ? On peut alors relevé un fait important pour expliquer le passage à l’acte: les soldats romains sont à bout. Si la fatigue est susceptible d’engendrer une forme de haine, cette dernière n’apparaît pas dans le discours de Pinarius. En revanche, il est structuré par le principe du « eux ou nous » exprimé grâce à la répétition de conjonctions: nec … nec ou aut … aut. Le discours permet alors d’enclencher un massacre sans aucun état d’âme: Pinarius ne cache pas que ce sont des hommes désarmés qu’ils tueront. Il ne peut être question de victoire, ce n’est pas une bataille. Le discours du « eux ou nous » permet de fixer un autre objectif que la victoire: la mort, l’anéantissement. Le combat est un processus mental fondé sur le syntagme ami/ennemi, mais avec l’implication des émotions le passage à l’acte est plus ou moins radical: ici ces hommes sont encouragés à tuer ad satietatem, comme si les soldats souffraient d’une forme de famine, une soif de mort inassouvie par l’attente.
Le discours du « eux ou nous » sert surtout à exprimer un certain malaise de Tite-Live vis-à-vis d’un tel massacre; il conclut le récit par une sentence plus personnelle reprenant la formule aut… aut: « C’est ainsi qu’Henna, à la suite d’un acte soit criminel, soit nécessaire (aut malo aut necessario), fut conservée. » Le doute sur le bien-fondé du plan de Pinarius subsiste car si Marcellus ne l’a pas condamné et a même récompensé la garnison en lui laissant le butin, la stratégie fut mauvaise puisque ce massacre a incité nombre de cités siciliennes à prendre le parti des Carthaginois. Par ailleurs le danger était-il bien réel ? En effet, dans son discours, Pinarius précise à ses soldats qu’ils n’ont rien à craindre car les armées ennemies sont loin et les Hénnéens pas armés. L’ennemi est totalement fantasmé. L’emploi de malo, à la connotation religieuse, n’est pas innocent. Un piège infernal avait ainsi été mis en œuvre par Pinarius. Il procéda à une forme d’evocatio, puisque Henna est le sanctuaire principal de Cérès et Proserpine. Mais le piège est celui d’Hadès, comme la terre s’est refermé sur Proserpine, les Romains fondent de toute part sur les citoyens d’Henna, enfermés dans le théâtre. Or Pinarius avait aussi sollicité le soutien des divinités infernales.