Cet épisode se place au temps des campagnes d’Alexandre en Inde du Nord, à l’automne 326. Après avoir traversé et saccagé le territoire des Aspasiens, le roi et ses troupes tentent de soumettre les Assacéniens qui se réfugient dans la capitale de Massaga défendue par un corps de mercenaires indiens en prévision d’un siège. Mais les mercenaires se laissent convaincre par le roi de quitter les lieux, ce dernier leur ayant assuré, en contrepartie, qu’ils auraient la vie sauve. Ils partent donc avec leur famille et installent un camp à l’extérieur, aux abords de la capitale ; mais Alexandre, en dépit de l’accord conclu, décide de lancer sur eux une attaque surprise et de les tuer tous afin d’avoir le champ libre pour s’emparer de la ville et de ses habitants. Cependant, plutôt que de chercher à s’enfuir en bandes dispersées pour tenter de sauver leur vie, les mercenaires font corps autour des femmes et des enfants et engagent un combat, sans espoir de survie, contre les forces du roi, combat auquel les femmes prennent part une fois les hommes tombés. Et quand toute forme de résistance est définitivement vaincue, Alexandre prend possession de la population civile.
Arrien (IV, 27, 2-4) fait également mention d’un cercle au moment de l’attaque contre les mercenaires mais ne précise pas la présence de femmes et d’enfants à l’intérieur de celui-ci ; il note que tous les Indiens qui s’y trouvaient furent massacrés. Plutarque (Alexandre, 59, 6-7) rapporte quant à lui que le massacre eut lieu alors que les mercenaires étaient en ordre de marche et ne fait état d’aucun non-combattants.
Le récit de Diodore, qui nous intéresse ici, permet de mettre en exergue trois éléments 1) la violation des serments et l’attaque surprise lancée contre les mercenaires ; 2) la participation des femmes au combat au risque d’une transgression des barrières de genre ; 3) l’asservissement de la population civile qui pourrait laisser penser que seuls les hommes en âge de porter les armes furent massacrés.
Concernant le premier élément, il apparaît clairement que ce fut Alexandre qui ne respecta pas l’accord conclu sous serment ; Diodore fait mention de la « violation de la foi jurée » et des mercenaires implorant « le secours des dieux victimes de l’impiété d’Alexandre », faisant ainsi référence aux lois sacrées des Grecs. Or, pendant toute la durée de la conquête, nous savons que le roi n’eut de cesse de transgresser les règles et les usages de la guerre, notamment la protection des lieux sacrés et l’asylie des sanctuaires (voir les sièges de Thèbes et de Persépolis, ou encore le massacre des Branchides pour ne citer que quelques exemples). Les mercenaires sont donc ici présentés dans leur droit, qu’Alexandre bafoue sous le prétexte fallacieux que ces hommes resteront à jamais ses ennemis. Dans le récit d’Arrien (IV, 27, 2-4), le non-respect des règles est attribué aux mercenaires indiens qui, après avoir promis à Alexandre de faire campagne à ses côtés, auraient décidé de prendre la fuite pendant la nuit. Ce dernier, informé de la trahison, les aurait alors encerclés et massacrés avant même qu’ils n’aient mis leur projet à exécution. Plutarque (Alex., 59, 6-7) est quant à lui plus imprécis, notant qu’Alexandre, après avoir conclu une trêve, les surprit en ordre de marche et les massacra. Dans tous les cas, nous avons affaire à une attaque surprise qui ne permet pas aux mercenaires de se préparer au combat. Cette inégalité dans le rapport de force peut justifier, bien que s’agissant de combattants, le terme de massacre dans la mesure où les mercenaires ne sont pas en mesure de faire usage de leurs armes – du moins dans les récits d’Arrien et de Plutarque.
Passons à présent à la question des femmes. Le récit de Diodore montre que des femmes ordinaires pouvaient aussi, lorsque les circonstances l’exigeaient, prendre les armes.
Plusieurs points sont à noter : d’abord on observe qu’au début de l’affrontement, les hommes sont dans leur rôle de protection vis-à-vis des femmes et donc de mise à distance de celles-ci : ils forment un cercle défensif autour d’elles et des enfants. Ensuite, les blessés et les morts sont si nombreux que les femmes se retrouvent en première ligne et décident de combattre aux côtés des hommes. Leur intervention, bien que considérée comme « contre-nature » (paraphysin), c’est-à-dire non conforme au système de représentation des Grecs, est jugée valeureuse : elles s’emparent des armes et, quand elles sont désarmées, engagent des combats au corps à corps. Enfin, leur lutte désespérée s’apparente à une sorte de suicide collectif qui leur permet d’accéder, du point de vue du système de valeurs grec, à la « belle-mort ». Outre le fait que les fonctions combattantes soient ici partagées, trois prérogatives masculines sont transposées sur les femmes : 1) le libre arbitre ; 2) le port des armes ; 3) le sacrifice dans le combat. Alors que Xénophon (Économique, 7. 23) affirmait que les femmes étaient, d’un point de vue biologique, incapables de combattre, Diodore souligne au contraire leurs capacités en ce domaine, mettant ici en récit un bouleversement des assignations de genre et donc une transgression de l’ordre social. Y-a-t-il eu rétablissement de cet ordre par l’exercice de violences sexuelles contre les survivantes ? En d’autres termes, le viol est-il apparu comme légitime et nécessaire dans une perspective de vengeance et de réaffirmation d’une virilité fragilisée ? Sur le viol comme compensation à la violence exercée par les femmes en temps de guerre (violence réelle ou supposée), on se reportera à l’article d’Amandine Regamey cité en bibliographie. Nos sources n’en font pas état, elles précisent simplement que les survivantes furent capturées.
Cette mention nous amène enfin à nous interroger sur le sort réservé aux femmes et aux enfants des mercenaires et, d’une façon plus générale, aux habitants de Massaga. Le fait que les femmes des mercenaires aient été placées sous la surveillance de la cavalerie suggère qu’elles pouvaient représenter un danger, sinon qu’elles faisaient figures d’ennemi. Furent-elles asservies en masse avec le reste de la population ? C’est probable. Diodore, à propos des vaincus, précise qu’ «Alexandre emmena avec lui la foule des hommes inaptes au service et des non-combattants ». Il suggère de la sorte qu’après l’attaque surprise contre les mercenaires, l’armée marcha contre la ville et la mit à sac, ce qu’Arrien (IV, 27, 4) confirme en notant qu’elle fut prise de « vive force, vu qu’elle était vidée de ses défenseurs ». Sans doute fait-il référence ici aux mercenaires et non aux hommes en âge de porter les armes restés dans la ville. Dans ce cas, on peut supposer qu’il y eut un assaut et que la défense fut assurée par ces derniers. S’il n’est fait mention après la prise de la ville que de l’asservissement des hommes inaptes au combat et des non-combattants, c’est sans doute parce que les autres, une fois pris, furent massacrés.
Dès après la mort d’Alexandre en 323 les principaux compagnons du roi se réunissent à Babylone afin de décider du partage des territoires ainsi que de la répartition des commandements. Mais lorsque Perdiccas est tué en 321 à la suite d’une coalition menée par Antipatros, Cratère et Antigone le Borgne, un nouvel accord est conclu, cette fois à Triparadisos, dans le Nord de la Syrie. Antigone le Borgne est alors chargé d’éliminer tous les partisans de Perdiccas, dont le frère de ce dernier, Alkétas, réfugié dans la cité de Termessos, en Pisidie. Mais lorsque l’armée antigonide arrive devant les murs de la ville, Alkétas se suicide afin d’échapper à l’ennemi. Les jeunes de la cité, portant en haute estime cet officier macédonien, refusent de donner le corps à Antigone et décident de livrer bataille contre ce dernier ; mais les plus vieux parmi les citoyens préfèrent livrer le corps plutôt que de s’engager dans une guerre inégale.
Dans cet extrait, l’aikia (outrager le cadavre) a pour but d’effacer du corps toute beauté et virilité, de supprimer les signes de puissance attachés à l’adversaire. Toutefois cette symbolique ne suffit pas à expliquer à elle seule l’acharnement d’Antigone sur le corps d’Alkétas. Pour comprendre les ressorts de cette violence extrême, il faut remonter à l’affaire de Cynané, fille de Philippe II et demi-sœur d’Alexandre.
En effet, en 322, Cynané est assassinée par Alkétas sur les ordres de son frère Perdiccas. À la suite de ce meurtre, une coalition réunissant Antipatros, Cratère et Antigone le Borgne se forme en vue d’éliminer définitivement Perdiccas, commanditaire d’un meurtre contre un membre de la famille royale. Pierre Briant insiste sur cet événement qui permet d’expliquer la rhétorique d’Antigone contre Perdiccas ainsi que la formation d’une nouvelle coalition. Lorsque Perdiccas est tué en 321 et qu’il est décidé à Triparadisos d’éliminer ses partisans, Antigone marche contre Alkétas qui se trouve en Pisidie à la tête d’une armée ; son but est non seulement de mettre à mort le meurtrier mais aussi de s’emparer de ses forces militaires ainsi que de ses terres.
Alkétas en se suicidant se soustrait à la mise à mort voulue par Antigone ce qui explique peut-être aussi l’acharnement de ce dernier sur son cadavre. Si Antigone exprime à travers cet acte transgressif toute sa colère et sa haine contre Alkétas, à l’image d’Achille contre Hector, cet acte lui permet aussi de réaffirmer auprès de l’armée macédonienne, très attachée à la dynastie royale, sa loyauté envers les Argéades. Antigone avait-il déjà pour ambition de récupérer l’ensemble des territoires conquis par Alexandre ? C’est probable, et dans ce cas l’outrage au corps d’Alkétas doit être compris comme un acte politique. Il a pour le moins le mérite de rappeler aux soldats macédoniens que l’impunité ne peut exister pour des crimes d’une telle ampleur.
De manière plus générale, l’outrage au cadavre est un acte violent attaquant les symboles grecs de la mort. L’acharnement d’Antigone sur ce qui n’est plus qu’un amas de chair informe montre l’importance accordée au corps car il est le reflet de l’individu l’ayant possédé. Cela explique l’établissement de normes concernant le traitement des corps ennemis. Le fait que les Grecs aient remis aux dieux la responsabilité de veiller au maintien de ces normes montre bien la volonté de transférer la punition sur un autre plan permettant de limiter les cas de transgression.
Pour ce qui est de la privation de sépulture, il faut rappeler que ce sont les rites funéraires qui permettent au mort de passer dans l’au-delà. L’en priver le condamne à errer perpétuellement. Ainsi, si l’on considère que l’acharnement d’Antigone contre le corps d’Alkétas s’explique par une volonté de venger la mort de Cynané, le fait de le laisser sans sépulture traduit sa colère et sa haine envers le meurtrier de la fille de Philippe II. Notons toutefois qu’il ne va pas jusqu’à faire surveiller le corps afin que celui-ci ne reçoive jamais de sépulture, comme dans le cas de Polynice dans l’Antigone de Sophocle. En effet, malgré l’interdiction de son oncle Créon de donner une sépulture à son frère Polynice, Antigone cherche un moyen de déjouer la surveillance du corps afin de rendre les derniers hommages à Polynice. Or, dans l’extrait que nous avons étudié, il n’y a pas de raison d’inscrire l’acte dans la durée puisque que les Macédoniens ne seront plus là pour le voir. C’est ce qui explique qu’Antigone le Borgne décide d’abandonner le corps sans sépulture mais également sans surveillance. La manœuvre est donc ici avant tout politique, ce qui toutefois n’enlève rien à sa dimension symbolique.
En effet outrager un corps et le priver de sépulture renvoie au domaine du sauvage, de l’animalité, à une violence bestiale qui traduit toute la démesure dont sont capables les hommes à la guerre. Le cadavre n’est pas qu’un support de commémoration, c’est aussi un élément central dans les rites de passages vers la mort. De fait, c’est une réalité matérielle qui revêt une dimension sacrée, inviolable.
Ce sacrifice d’enfants (σφαγιασάμενοι) survient lors de l’arrivée d’Alexandre le Grand à Pellion. C’est le premier cas de sacrifice d’enfants recensé durant son règne. C’est ce qu’on appelle un meurtre rituel. Selon l’historien Dennis D. Hughes, un meurtre rituel (qu’il s’agisse d’un animal ou d’une victime humaine), est un meurtre commis dans une situation ou lors d’une occasion particulière (une cérémonie religieuse, des funérailles, avant la bataille, etc.) d’une manière prescrite et stéréotypée, avec une fonction communicative quelconque. Les sources font état de nombreux sacrifices d’animaux avant une bataille, mais peu de sacrifice humain. Dennis D. Hughes a remis en question l’existence de sacrifices humains avant une bataille. Il se réfère à Porphyre qui, dans sa longue liste de sacrifices humains, affirme, en se fondant sur Phylarque, qu’il était pratique courante pour tous les Grecs de tuer des êtres humains avant de partir contre l’ennemi. Selon lui, si nous ne savons rien du contexte de cette déclaration, il est attesté en revanche qu’à l’époque de Phylarque (IIIe siècle a.C.), les sacrifices coutumiers faits avant la bataille, sphagia, étaient des victimes animales ; il existe de nombreux témoignages de ces sacrifices dans les récits des historiens, en particulier chez Xénophon. Le scepticisme des historiens pourrait remettre en cause la véracité de cet évènement. Pourtant, Arrien indique la présence de trois béliers en plus des six enfants.
Il est intéressant de constater que ces béliers auraient à Pellion la même valeur dans un rite sacrificiel que des enfants. Il est probable que leur couleur noire fait référence à l’obscurité, la mort. Peut-être est-ce une référence au mythe de la toison d’or, à moins qu’il ne s’agisse d’ un sacrifice dédié à Hermès, le bélier étant son animal de prédilection. Plus simplement, il est aussi possible que le bélier, mâle reproducteur, ait été très couteux et que s’en séparer représentait un réel sacrifice. Enfin, selon Eva Cantarella: « Au roi Numa, la tradition ne se contentait pas d’attribuer la loi sur l’homicide volontaire. Elle lui attribuait aussi la loi qui fixait la peine pour l’homicide involontaire. À cette loi font référence un passage du commentaire de Servius aux Géorgiques et un passage du commentaire aux Bucoliques du Servius auctus. […] Dans le commentaire aux Géorgiques, il est dit qu’autrefois celui qui avait commis un homicide devait laver (luere) sa faute avec un bélier. ». De fait, peut-être qu’Arrien, en évoquant ce sacrifice du bélier, s’inspire des anciennes lois du roi Numa ; à moins que la cité de Pellion, par ce sacrifice, se soit inscrite dans le cadre de pratiques traditionnelles et anciennes.
L’historien doute que des Grecs aient pu commettre ce genre d’acte. Cependant, comme les Illyriens n’étaient pas des Grecs, mais des « barbares », il n’est pas impossible que ce sacrifice ait eu lieu. Aucun détail toutefois n’a été donné, et l’on ne sait pas à quelle divinité il s’adressait. Il est probable que ce sacrifice fut une réaction spontanée, liée au désespoir et à la peur de la communauté face à un possible siège, voire à une mise à sac assortie d’un massacre. Il est possible que d’anciens rites soient réapparus au temps des campagnes d’Alexandre dans les Balkans, comme autant de manifestations du développement de la violence extrême.
Les faits relatés renvoient aux exactions perpétrées par le tyran de Syracuse, Agathocle, contre des citoyens oligarques hostiles à son pouvoir. Au massacre de la plupart d’entre eux s’ajoutent des viols commis sur les femmes ; ces viols sont clairement énoncés et ce en dépit de l’absence d’un mot spécifique pour les désigner, contraignant l’auteur, et sans doute aussi sa source, Timée de Tauroménion, contemporain d’Agathocle, à recourir à des périphrases. Ce qui est mis en évidence ce n’est pas tant l’acte en lui-même, ni moins encore les souffrances physiques ou psychiques des femmes, mais ce qu’il représente, à savoir le franchissement d’un seuil, une transgression donc au regard du système de valeurs existant, d’où l’emploi du mot paranomos ; en effet, ces viols n’ont pas été commis sur n’importe quel individu de sexe féminin, ils ont touché les épouses et les filles de citoyens, ils sont donc susceptible de bouleverser l’ordre social, de mettre à l’épreuve les fondements de la communauté tout entière.
De plus, s’en prendre au corps des femmes, revient, dans ce contexte-ci, à porter atteinte aux hommes avec lesquels elles forment une famille [τοὺς συγγενεῖς ἐπήρειαν]. Dès lors la signification de ce type de violence est double : 1) rabaisser les époux et les pères en remettant en question la fonction de protection qui fonde leur identité ; 2) couper le lien de filiation et de fait remettre en question l’existence de l’oikos.
Ainsi, il ressort très clairement de ce texte que les partisans d’Agathocle, en ciblant une catégorie de femmes, ont utilisé le viol comme « arme de guerre » destinée à outrager et à condamner durablement les hommes ayant échappé au massacre.
Cet extrait fait suite au débarquement d’Agathocle en Sicile, après la troisième guerre gréco-punique. Manquant d’argent, il se rend dans une ville alliée, Egeste, afin de s’emparer de la fortune de ses habitants.
Diodore décrit de manière très circonstanciée et avec force détails différents types de tortures ou supplices. Il faut rappeler que notre auteur est originaire de Sicile et que sa source principale est Timée de Tauroménion, dont le père est à Syracuse l’un des principaux opposants au tyran Agathocle. Si Diodore fait mention d’une torture apparentée au taureau de Phalaris c’est parce qu’il s’agit d’un mode opératoire connu en Sicile. Inventé par le tyran d’Agrigente, Phalaris, au VIe siècle, il était formé d’un taureau en bronze dans lequel étaient enfermées les victimes que l’on faisait rôtir vivantes. S’il insiste sur son utilisation par Agathocle c’est parce que celui-ci l’aurait amélioré afin qu’il soit encore plus spectaculaire, puisque les victimes étaient désormais visibles de l’extérieur. Cette comparaison a pour but de montrer qu’avec Agathocle un degré supplémentaire a été franchi dans l’exercice de la cruauté. Un autre élément qui laisse entrevoir une construction du récit n’ayant d’autre but que de souligner et de condamner la cruauté d’Agathocle, c’est l’utilisation de pinces de fer (krakinos), qui pourrait avoir été ajoutée à l’épisode afin de renvoyer à Krakinos, le père d’Agathocle.
Notons ensuite que les tortures ne concernent pas que les hommes, les femmes en sont également victimes. Les procédés utilisés à leur encontre visent les attributs de la féminité, notamment les parties du corps liées à la maternité : les seins sont une cible prioritaire mais aussi, pour les femmes enceintes, c’est le ventre gonflé, symbole de fécondité, qui est aplati par des pierres afin de provoquer des avortements forcés. Ces tortures traduisent une volonté de porter atteinte à l’identité du groupe, aux éléments qui contribuent à sa reproduction et conservation : tandis que les hommes sont privés de « la belle mort », on retire aux femmes le droit de donner la vie.
La torture des habitants sans considération de leur sexe ajoute à la puissance de l’événement, à tel point que devant ce spectacle d’horreur, certains préfèrent se suicider, échappant ainsi à des pratiques de cruauté d’une extrême violence.
En ce qui concerne les enfants et les jeunes filles, s’ils ne sont pas exposés à la torture, ils sont capturés par Agathocle pour être vendus aux habitants de Bruttium, servant ainsi de monnaie d’échange afin de rentabiliser au mieux le passage du tyran dans la cité. Les torturer aurait endommagé leur corps et leur aurait fait perdre leur valeur marchande. C’est notamment le cas des jeunes filles qui sont vendues vierges. L’argent récolté de ces ventes doit permettre de contribuer à l’effort de guerre. En effet, au moment des événements, Agathocle entre dans une longue guerre avec les Carthaginois et a besoin de fonds pour reconstituer son armée. Cet épisode a lieu après la troisième guerre gréco-punique et s’inscrit dans une période de transition durant laquelle le tyran mène des expéditions à travers la Sicile afin d’assurer sa mainmise sur un certain nombre de cités et ainsi réunir les ressources nécessaires en vue d’une prochaine expédition.
Les violences extrêmes perpétrées par Agathocle, qu’il s’agisse des actes de tortures, tout autant que de la capture et de la vente d’individus ciblés, ont permis à Agathocle de terroriser les habitants et ainsi de mettre rapidement la main sur les richesses dont il avait besoin pour ses expéditions, au risque de voir sa réputation entachée durablement.
POUR CITER CE COMMENTAIRE : Maxime Grégoire, « Les Egestins torturés », WWW.PARABAINO.COM MIS EN LIGNE LE 20/11/2021
Après sa victoire à Chéronée (338), le roi de Macédoine Philippe II établit une garnison sur la Cadmée, l’acropole de Thèbes. Les choses se compliquèrent après l’assassinat du roi (fin de l’été 336). Son fils Alexandre prit immédiatement sa succession. Dès l’annonce de la mort de Philippe, des mouvements d’hostilité à la domination macédonienne éclatèrent en Grèce. Les troubles furent, dans un premier temps, promptement réglés par Alexandre qui put ainsi partir en campagne en Thrace et en Illyrie. La rumeur de sa mort au combat détermina cependant la révolte des Thébains, qui comptaient, entre autres, sur l’appui des Athéniens, des Arcadiens et autres Péloponnésiens. Après avoir aboli le régime oligarchique mis en place par Philippe, les Thébains assiégèrent la garnison occupant la Cadmée. Alexandre ne prit pas à la légère la révolte thébaine et, à marche forcée, parvint devant Thèbes. Après quelques jours de négociations et devant le refus des Thébains de se soumettre, il entreprit le siège de la ville. En dépit d’une résistance courageuse des assiégés, la ville fut rapidement prise et les combats se transportèrent de l’extérieur à l’intérieur des murs et se transformèrent en combats urbains d’une violence extrême soulignée aussi bien par Diodore de Sicile que par Arrien ou Plutarque. Après la maîtrise des lieux stratégiques et référentiels (remparts, agora, sanctuaires et Cadmée) la conquête de la ville basse se fit rue par rue et maison par maison, avec son cortège de massacres, de viols (celui de Timocléia, par exemple, rapporté par Plutarque), de pillages. Le massacre de masse des combattants et de la population civile est avéré par plusieurs sources sans que l’on puisse évaluer le nombre exact des victimes. Diodore avance le chiffre de 6000, tout comme Plutarque.
Les massacres furent d’autant plus massifs que des citoyens de cités béotiennes autrefois soumises et détruites par Thèbes participaient au siège, et donnèrent aux violences un aspect de vengeance. Et de guerre civile. Alexandre eut l’habileté de remettre le sort des Thébains à ses alliés. Le Conseil décida la destruction de Thèbes et la réduction en esclavage de ses habitants (30 000 selon Diodore). En dépit d’un aspect de coopération entre alliés, la décision d’assiéger Thèbes revient pleinement à Alexandre qui ouvre ainsi la voie à un processus de violences extrêmes. Il inaugure à Thèbes une stratégie de la cruauté destinée à inspirer la terreur, qu’il renouvela, avec des modalités sans cesse adaptées, dans la suite de ses conquêtes. L’accumulation des mots de la violence et de la sauvagerie dans le récit de Diodore de Sicile indiquent que les limites de la guerre ordinaire furent outrepassées et que furent niées les règles jusqu’ici militairement, socialement et politiquement partagées. Le retentissement de l’éradication de Thèbes en temps qu’entité politique eut un retentissement énorme auprès des contemporains (orateurs athéniens) et des historiens grecs ou romains jusqu’à Arrien et Justin.