fbpx

Actualités

Proscription de Sylla (82), Guerre des Gaules (58-51), Octave devient Auguste (27)



Actualités

Le massacre des Usipètes et des Tenctères

Le massacre des Usipètes et des Tenctères

En 55 av. J.-C., les Trévires, peuple du nord-est de la Gaule, ami et allié de Rome, font appel à César, car des Germains, les Usipètes et les Tenctères, ont franchi le Rhin et se sont installés sur leurs terres. César décide d’intervenir. Les Germains tentent immédiatement de négocier, et expliquent que les Suèves, un très puissant peuple germain, les ont contraints à cette migration. Dans le même temps, leur cavalerie attaque celle des Romains et remporte ce combat. Après cela, César, tout en faisant mine de continuer les négociations et de maintenir une trêve, retient les dignitaires germains et fait avancer ses troupes vers la position où les Usipètes et les Tenctères, civils et militaires, sont stationnés. Le cœur de l’événement qui nous intéresse se déroule ici, puisque les troupes de César vont alors surprendre ces deux peuples, qui croient encore à la trêve, tuer indistinctement hommes, femmes et enfants, armés et non armés, ou les acculer à la noyade dans le Rhin. Ils étaient 430 000 selon César, un chiffre probablement exagéré mais qui témoigne du massacre. Ce dernier aurait répondu à un ordre et correspond à une tactique déjà mise en œuvre par le passé : affaiblir les soldats ennemis, les détourner du combat, en s’en prenant à leurs familles. César raconte donc cet évènement en insistant sur plusieurs éléments de compréhension qui vont de fait justifier une transgression, le fait d’attaquer pendant une trêve, et expliquer la radicalité de sa tactique à ses lecteurs. Nous en retiendrons deux pour ce commentaire, d’un côté, le plus évident, le caractère même des Germains, de l’autre côté, celui qui émerge de l’analyse du texte, le rôle des émotions des soldats romains.

César insiste sur l’inconstance et l’agressivité des Germains pour expliquer leurs actes, dont deux méritent sanction et excusent la transgression. Le premier correspond au non-respect de l’ordre romain, à savoir franchir le Rhin, la limite de l’Empire fixée par César, le second au fait de s’en prendre à la cavalerie romaine alors que César discutait avec les dignitaires germains ; il y aurait là une première transgression. Rappelons que la trêve est garantie par les dieux. Pour César, l’attaque romaine est donc justifiée. Elle rétablit l’équilibre, elle vient corriger une double infraction. Il n’agit donc pas par orgueil ni par ambition, ni vraiment par colère (ira). Cependant, il se peut que César tente ici de mettre en scène une forme particulière de colère : l’indignatio. Elle désigne souvent une réaction appropriée, qui vient rétablir la justice face à un affront ou une faute envers le droit ou les dieux. On la comprend notamment par le fait qu’il envisagea le combat avant même le retour et les excuses des dignitaires germains. Mais plus explicitement, c’est bien l’impiété des Germains qui sert de justification à la violence. Rappelons que César a dû se justifier auprès du sénat, à la demande de Caton (Plutarque, Vie de César, 22, et Vie de Caton, 51). Ses arguments sont étayés par un poncif traditionnellement attribué aux barbares par les Romains : leur perfidie. Cette lecture de César, que l’on qualifierait aujourd’hui de xénophobe, a en partie alimenté les débats sur la nature prétendue génocidaire de cet évènement.

Le second élément d’explication se lit en filigrane dans tout ce passage, et fait presque passer la responsabilité de César au second plan. Il s’agit des émotions des soldats romains, notamment de leur colère, qui est encore une fois une forme d’indignation mais pas seulement. Il faut donc comprendre ces émotions et remonter à leur source. D’où l’intérêt de considérer l’ensemble du récit de César, dès le paragraphe douze, qui raconte le premier affrontement de cavalerie. Celle de César est alors défaite, dans un combat à six contre un. C’est principalement la surprise et la peur qui leur font perdre ce combat. César utilise le terme perterritus, souvent employé pour désigner une peur panique, spontanée et incontrôlable. La tactique des Germains et la violence de l’affrontement peuvent expliquer l’effroi. César déplore la mort de 74 cavaliers, mais surtout le reste de sa cavalerie est sous le choc de cette défaite. Toujours fébriles, ils sont relégués à l’arrière par le général, une décision visant à les protéger, mais également propre à stimuler un sentiment de honte chez ses cavaliers. Cette peur, et par extension cette honte, ont pu se changer au cœur de la bataille principale en ce que nous pourrions identifier comme une colère, en tout cas déclencher une violence sans limite. Deux éléments du texte de César semblent indiquer cela : « après avoir redouté une lutte terrible », ses soldats sont « stimulés par la perfidie de la veille ». Le terme incitus est d’ailleurs utilisé, il rend compte d’une énergie débordante, voire d’une excitation incontrôlable. Et c’est finalement la cavalerie que César envoie pour rattraper tous les fuyards, femmes et enfants compris. Il a été démontré aujourd’hui que la peur est un vecteur important de réactions violentes. C’est ce que l’on retrouve ici avec le passage de la peur vers la honte, puis vers la colère. Mais alors, et la question doit être posée, est-ce bien César qui a ordonné ce massacre ? Ou bien serait-ce ses troupes, qui, prisent de colère, se seraient acharnées sur les populations civiles présentes ce jour-là ?

César ne répond pas à cette question. Il ne nie pas non plus l’événement et la violence extrême qui le caractérise. Finalement peu importe la manière, pour lui, César a remporté une victoire ce jour-là. Comme n’importe quel chef de guerre, il rapporte simplement ses décisions au Sénat et au peuple romain, tout en se justifiant de leur nature extrême. César se présente donc dans son bon droit, qui est celui de punir les Germains, mais pour nous, il était aussi important de souligner les sentiments et les émotions qui guident cet événement. Ils ont bien une place décisive dans sa nature violente, et dans sa compréhension.

POUR CITER CE COMMENTAIRE : Thibault Carbonnot « Le massacre des Usipètes et des Tenctères », WWW.PARABAINO.COM MIS EN LIGNE LE 18/07/2022