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Conquête de l’Asie Mineure par les Perses (546-540), Début de la République romaine (509), Réformes de Clisthène à Athènes (508)



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Crotone et Sybaris

Crotone et Sybaris

Chez Diodore, cette guerre est insérée comme un excursus historique dans le récit de la fondation de la colonie athénienne de Thourioi, construite sur l’emplacement  de l’ancien établissement de Sybaris, disparu sous les eaux du fleuve Crathis. Si les traces de l’événement sont présents chez d’autres auteurs (Hérodote, VI, 21 ; Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, XII, 15-20), c’est Diodore qui fournit le récit le plus circonstancié sur les causes de la destruction de Sybaris à la suite d’une guerre contre Crotone. Ces deux cités, situées sur le golfe de Tarente, ont été fondées au VIIIe siècle a.C., au moment du grand mouvement de colonisation grecque vers l’Italie du Sud. Sybaris, avant sa destruction, était connue pour ses mœurs relâchées et ses excès, donnant lieu à de nombreuses anecdotes, dont un grand nombre ont été rapportées par Athénée de Naucratis sur le fondement de Timée de Tauroménion. Mais elle était tout autant connue pour sa prospérité économique, la fertilité de ses terres  ainsi que pour la force de son armée qui reposait sur un nombre très important de citoyens-soldats ; elle comptait ainsi parmi les plus puissantes colonies de la région, et cherchait à avoir la mainmise sur les peuples et cités situés dans son voisinage immédiat. Crotone avait su préserver son indépendance face à sa voisine et rivale ; régie au moment du conflit par des institutions aristocratiques, sa vie politique et intellectuelle était alors dominée par la figure de Pythagore qui avait développé ici une école philosophique réputée pour sa rigueur et sa moralité.

Quelles furent selon Diodore les causes de la guerre entre les deux cités et leurs conséquences ?

L’auteur rapporte que Sybaris comptait au VIe siècle a.C., trois cents mille citoyens-soldats (chiffre considérable et certainement très exagéré) et qu’elle était dominée par un parti populaire à la tête duquel se trouvait un démagogue du nom de Télys. Opposé aux oligarques, ce dernier avait décidé de bannir 500 citoyens, parmi les plus riches, lesquels s’étaient alors enfuis à Crotone, cherchant asile auprès des autels et acquérant ainsi le statut de suppliants. Or Télys, réclama le retour des bannis (pour les massacrer probablement) et fit savoir aux Crotoniates qu’il engagerait une guerre contre eux en cas de refus. Ces derniers, après un débat à l’assemblée au cours duquel les risques et les enjeux  furent exposés en détail, décidèrent, conformément aux préconisations de Pythagore, de ne pas extrader les bannis vers Sybaris et de les maintenir sur place. Les Crotoniates furent alors contraints en 511 d’affronter les Sybarites dans une bataille rangée et ce en dépit de leur infériorité numérique (proportion d’un contre trois). Contre toute attente ils remportèrent une victoire décisive grâce notamment à un certain Milon, reconnu en qualité d’athlète, vainqueur à de multiples reprises aux concours d’Olympie. Mais les Crotoniates, pris de colère (orgè), décidèrent de pousser plus avant l’avantage : ils poursuivirent les combattants en fuite et massacrèrent ceux qui tombèrent entre leurs mains, puis mirent la ville à sac avant de déporter et d’asservir la population.
On ne sait que peu de choses sur le déroulement de ce conflit qui, selon Strabon (VI, 1, 13), aurait duré soixante-dix jours. Aucune de nos sources ne précise le lieu du combat en rase campagne, à l’exception de Jamblique (Vie de Pythagore, 260) qui fait référence au Traente, rivière coulant entre les deux cités et marquant probablement la frontière. On peut penser que la bataille rangée eut lieu à proximité, en tout cas dans une zone de confins. On ne sait pas non plus comment s’articule la fin de la bataille rangée avec la mise à sac de la ville. Après avoir poursuivi les vaincus, les Crotoniates engagèrent-ils un siège ? La ville était-elle déjà protégée par des remparts et y avait-il encore des défenseurs à l’intérieur ? Aucune information n’est donnée à ce sujet. Le récit de Diodore permet toutefois de mettre en exergue trois éléments qui renvoient à la question de la transgression dans la guerre : 1) Les règles et les usages de la guerre hoplitique ; 2) Le respect des lois sacrés ; 3) les ressorts de la guerre d’anéantissement.

Concernant le premier point, il faut noter l’inégalité des forces en présence qui apparaît contraire aux règles du combat en rase campagne ; si l’équilibre n’était pas toujours assuré, une disproportion trop importante devait en principe empêcher un engagement direct. En dépit d’effectifs militaires très largement inférieurs à ceux de leurs adversaires, les Crotoniates parvinrent à rétablir l’équilibre grâce à la combativité de leurs hommes. Il est fait mention en particulier de Milon, athlète confirmé, dont la puissance sur le théâtre des opérations militaires, assimilable à celle d’un héros, permit de renverser le rapport de forces au profit des Crotoniates et de redonner au combat hoplitique sa dimension agonistique – même si nous savons par ailleurs que la ruse fut aussi de la partie. Ce combat, par son issue, aurait dû être le verdict incontestable tranchant le litige, faisant du champ de bataille le tribunal des cités en conflit. Or cette règle procédurale ne fut pas respectée par les Crotoniates qui s’engagèrent immédiatement après leur victoire dans une guerre de poursuite contre les vaincus.

Pourtant, et c’est le deuxième point, ils s’étaient montrés jusque-là particulièrement respectueux des usages de la guerre, en particulier des lois sacrées. En effet, en vertu du droit d’asylie, les personnes qui avaient trouvé refuge dans un sanctuaire étaient considérées comme étant la propriété de la divinité ; c’était un sacrilège que de les priver de cette protection. Les Crotoniates avaient décidé en toute conscience de ne pas déroger au respect des lois sacrées ; les violer c’était s’exposer à la colère des dieux, à la vengeance des hommes et à la réprobation de l’opinion publique ; ces mécanismes de contrainte les avaient donc conduit à affronter en rase campagne une armée trois fois supérieure à la leur, à prendre le risque donc d’être tués en masse, voire de mettre en péril l’existence de la communauté tout entière. La peur de cette entrée en guerre est évoquée par Hérodote, en VI, 44, pour justifier l’appel que l’assemblée fit à Dorieus afin qu’il vint leur porter secours.

Cette menace explique probablement leur détermination, une fois rangés en ligne face à leurs adversaires, à vaincre et à retourner la situation en leur faveur. Mais pourquoi aller jusqu’à exterminer leurs adversaires ? C’est notre troisième point. La victoire inespérée qu’ils remportèrent sur le champ de bataille déclencha probablement un sentiment de puissance qui les conduisit à poursuivre l’armée en déroute ; ils ne firent selon Diodore aucun prisonnier, ce qui veut dire que tous les soldats en fuite qu’ils attrapèrent furent passés au fil de l’épée. L’auteur invoque alors la colère des Crotoniates, l’orgè : sentiment qui pousse à la radicalité, qui n’admet aucune autre solution qu’une destruction totale. La peur du début du combat se transforma donc à la fin de celui-ci en une colère destructrice, charriant probablement toute la haine et le ressentiment des Crotoniates envers les Sybarites qui, par le passé, s’étaient montrés peu respectueux des règles. Athénée, à ce propos, cite ad litteram (Deipnosophistes XII, 520-521), un passage d’Héraclite du Pont dans lequel il est fait mention des actes d’impiété dont les citoyens de Sybaris s’étaient rendus coupables et qui leur avaient valu d’être anéantis par les Crotoniates.  Un cycle de vengeance donc qui conduisit ces derniers à transgresser à leur tour les règles, à franchir une limite plus importante encore, celle du massacre de la population civile. Le texte de Diodore est sur ce point très ambigu car il ne permet pas de saisir le déroulement de la guerre dans toutes ses temporalités. On passe ainsi indistinctement du massacre des fuyards à celui de « la plupart des Sybarites ». Considérant que la ville fut mise à sac et complètement dépeuplée, on peut supposer que les fuyards ne furent pas les seuls concernés ; une partie au moins de la population civile fut certainement massacrée au moment de l’entrée des Crotoniates dans la ville et ceux qui échappèrent au massacre furent asservis en masse. En tout cas, en 510, à la fin de la guerre, il ne restait plus aucun sybarite sur les lieux. Que les Crotoniates aient voulu l’anéantissement de la communauté ne fait donc aucun doute ; cela est par ailleurs confirmé, de manière symbolique tout autant que matérielle, par le détournement du cours du  fleuve Crathis en vue de submerger le territoire de la cité. Cette entreprise, rapportée par Strabon, est directement mise en relation avec la destruction de Sybaris par les Crotoniates. Pierre Ducrey, dans son ouvrage sur Le traitement des prisonniers de guerre, rappelle que c’est la plus ancienne opération militaire historiquement attestée qui se soit terminée par le massacre indistinct et généralisé des vaincus. Toutefois, rien dans le texte de Diodore ne permet de conclure à un massacre total, peut-être que seuls les hommes en âge de porter les armes furent tués et que les autres furent déportés et asservis en masse.  Ce qui apparaît à la lecture d’Hérodote (VI, 21), c’est qu’il y avait encore des Sybarites (autres que les 500 transfuges) pour parler de l’événement. Ce seraient ceux exilés à Laos et à Scidros, donc des hommes ayant échappé à la tuerie dans le cadre de la guerre de poursuite qui fit suite à la bataille rangée.

POUR CITER CE COMMENTAIRE : Ilaria Starnino « Crotone et Sybaris », WWW.PARABAINO.COM MIS EN LIGNE LE 25/11/2021


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La vengeance de Phérétimê, reine de Cyrène

La vengeance de Phérétimê, reine de Cyrène

Personnage à la fois historique et littéraire, Phérétimê, reine de Cyrène occupe une place particulière dans l’œuvre d’Hérodote, notre principale source sur l’histoire de Cyrène à l’époque archaïque et sur celle de la famille royale des Battiades qui gouvernait la cité. L’action de Phérétimê, épouse de Battos III, mère d’Arkesilas III, probable grand-mère de Battos IV, se situe au croisement de l’histoire troublée des descendants de l’oikiste Battos I, fondateur de Cyrène colonie de Théra (vers 630 av. J.-C.), des conflits internes (stasis) renouvelés qui agitèrent la cité à partir des années 560 av. J.-C. Ceux-ci furent entre autres marqués par l’exil d’Arkésilas III à Samos puis par son assassinat à Barkê où il s’était réfugié après un difficile retour alors que sa mère assurait la continuité du pouvoir dynastique à Cyrène. À ce contexte de luttes civiles intenses, il faut ajouter que la cité de Cyrène entretînt des rapports parfois tendus avec l’Égypte qui, en 525, fut conquise par les Perses sous le règne de Cambyse auprès de qui Arkesilas fit acte de soumission en s’imposant de lui-même le paiement d’un tribut. Après la mort de son fils, Phérétimê occupe donc une place importante dans les rapports entre Grecs et Perses.

Après l’assassinat de son fils par les Barkéens, Phérétimê se rendit auprès de satrape d’Égypte pour solliciter son aide. Aryandès envoya contre Barkê une force coordonnée terrestre et navale, peut-être pour satisfaire le désir de vengeance de la reine, plus sûrement, comme le souligne Hérodote, pour « conquérir la Libye » en usant de ce prétexte. Le siège de Barkê est remarquable à plus d’un titre. Sa description par Hérodote est d’abord exceptionnellement longue et offre, en langue grecque, le premier développement sur la pratique des mines conjuguée à l’assaut, des contre-mines et des combats souterrains intervenant au point de jonction des galeries. Conclu à l’avantage des Perses grâce à une ruse sur laquelle il n’y a pas lieu de s’étendre ici, le siège de Barkê met ensuite l’accent sur l’artifice qui accompagne, aux yeux des Grecs, l’extension du champ de la guerre dans le temps, dans l’espace et dans les modalités d’action, qui caractérise la guerre de siège par opposition au combat hoplitique. Par ses sollicitations d’aide et par sa présence, Phérétimê se range politiquement et militairement dans le camp perse et permet, de fait, la réinstallation à Cyrène d’un pouvoir-client des Achéménides tout en mettant la guerre au service des luttes civiles et de la sauvegarde du pouvoir des Battiades. Enfin, la monstrueuse violence de la répression voulue par la reine à l’encontre des opposants faits prisonniers est unique dans l’Enquête. La pratique de l’empalement des vaincus est ancienne tant en Assyrie qu’en Perse. Instrument de domination sur les corps, la mutilation des hommes est conçue et mise en scène comme une composante de l’action politique et militaire des rois. Au contraire, pour Hérodote, et pour les Grecs plus généralement, l’outrage aux corps des vaincus est un interdit, une transgression. Quant à la mastectomie, violence sexuée, sa pratique est beaucoup moins documentée dans l’Antiquité. Le principe vital des femmes résidant dans la lactation, couper les seins reviendrait à annihiler la source de nourriture des enfants engendrés et à éradiquer toute forme de descendance. L’acte a donc une forte portée sociale. Pal ou mastectomie, ces supplices ont pour but de terroriser une population ou un groupe social. Comme le laisse voir la suite donnée par Hérodote à ce passage (la mort épouvantable de Phérétimê attribuée à la haine des dieux) la reine de Cyrène a outrepassé les règles de la guerre et les limites du sacré. Elle est pleinement et totalement transgressive.

Pour citer ce commentaire : Jeannine Boëldieu-Trevet, La vengeance de Phérétimê, www. Parabaino.com mise en ligne le 10/09/2021